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BROKEN

écrit par Julien Botzanowski

I. Présentation du film

Sorti en 2006, « Broken » est réalisé par Adam Mason et Simon Boyes, qui signent là leur premier long métrage (et dont ils écrivent également le scénario).

L’histoire est simple : une femme se fait enlever avec sa fille de six ans par un ermite vivant dans la forêt. Après quelques douloureuses épreuves initiatiques que lui infligera le maniaque, elle est contrainte de vivre avec lui pour lui servir d’esclave. Entrant peu à peu dans le jeu de son bourreau, il lui faudra user de patience et de persévérance pour tenter de reconquérir sa liberté et de savoir ce qu’est devenue sa fille.
À la lecture de ce pitch, on constate que le propos du film, hors réalisation et aspects techniques, repose sur l’écriture et l’interprétation des deux personnages, incarnés par Nadja Brand et Eric Colvin.

Inutile dès lors de le préciser, il s’agit d’un film tout ce qu’il y a de plus indépendant (premier long métrage, acteurs inconnus, lieux et personnages réduits au possible)... et c’est précisément pour cela que le film est intéressant : étant donné l’expérience et les moyens limités de l’équipe (ainsi que des conditions de tournage éprouvantes : températures très froides, scènes à retourner à des mois d’intervalle, phase de montage logiquement chaotique...), le résultat est remarquable. Sans compter que, comme aucun gros studio ne contrôlait le film, les deux auteurs ont bénéficié d’une liberté presque totale (probablement totale s’il n’y avait pas eu les difficultés matérielles) dans l’originalité de leur réalisation.

Difficile de délimiter les bons et les mauvais points de ce « Broken » tant ils sont relatifs aux conditions de production du film, et à la sensibilité du spectateur face à la singularité (formelle comme substantielle) de cette œuvre. Il est donc à noter que les aspects critiqués dans les prochaines lignes ne font référence qu’à ma sensibilité personnelle de spectateur/cinéphile, et que chaque point de mon avis pourra être totalement démenti par un spectateur différent.

 

 

II. Bons points

- L’originalité de la mise en scène tient principalement, dans ce film, dans la gestion du rythme, et plus précisément dans l’opposition scènes-choc/scènes psychologiques. Si le premier quart d’heure est un concentré de sadisme et de gore bien crade, le reste du film se concentre en majeure partie sur le duel psychologique entre les deux personnages. La réalisation est cohérente avec l’histoire et l’ambiance que Mason et Boyes veulent distiller : c’est froid, lent, malsain, sans jamais verser dans le pathétique. Malgré une première partie aux influences très « Saw », on est contre toute attente à mille lieues d’un montage épileptique ou d’un rythme effréné. Les thèmes phares du film (l’humiliation, la relation victime/bourreau, l’isolement en pleine nature...) placent avec brio la tension psychologique au moins au même niveau que l’horreur suscitée par le gore (et que la peur par anticipation de celui-ci). Véritable huis clos en extérieur, « Broken » se hisse ainsi, malgré ses moyens dérisoires et sa base scénaristique simpliste, à des sommets rarement atteints en matière de ressenti chez le spectateur.

- Le personnage de l’héroïne est, je trouve, bien écrit. On n’a pas la bimbo écervelée de service qui hurle pour un rien ; nous sommes ici en présence d’une femme divorcée qui essaie de se reconstruire et qui, malgré l’extrémité de sa situation et son infériorité physique, fera preuve de toute sa force mentale pour affronter son bourreau et tenter de retrouver sa fille. (À noter d’ailleurs le courage et l’implication de l’actrice, bénévole et dont il s’agit du premier film, qui a beaucoup souffert durant l’année sur laquelle s’est étendue le tournage.)

- Au niveau de la technique, compte tenu du tournage éprouvant et décousu à l’extrême et du budget inexistant, il n’aurait sans doute pas été possible de faire mieux. Malgré quelques erreurs d’étalonnage (les lumières ou les couleurs sont parfois légèrement différentes d’un plan à l’autre dans la même scène), l’image est bien pensée. On sent qu’il y a eu un réel travail dessus ; c’est contrasté, sombre sans jamais être illisible, et on ressentirait presque la température et l’humidité à la simple vue de l’image. De plus, les valeurs de plans varient efficacement, du plan large au très gros plan, ingénieusement choisies selon les scènes, évitant la redondance du décor.

- Le son est également très cohérent. La musique est sobre, lente, collant parfaitement aux images. Si la bande-son n’est pas très forte, les bruitages (lors des scènes-choc notamment) sont poussés au maximum, rendant certains effets gores incroyablement douloureux. Sobriété constante et brutalité ponctuelle sont donc les maîtres mots du son de « Broken », opposition rappelant bien évidemment l’importance du lent duel psychologique et de la violence secondaire qui constituent l’histoire que nous racontent les réalisateurs.

- Pour les amateurs d’horreur graphique et d’effets sanglants : n’ayez aucune crainte, le gore est ultra bien fait ! Le film a beau être indépendant voire amateur, les trucages sanguinolents sont réalistes, poisseux, parfois même plus crédibles que ceux de certaines productions plus conséquentes. (J’ai d’ailleurs découvert, en faisant quelques recherches sur ce film pour ma chronique, que « Broken » avait remporté dans un festival l’année de sa sortie le prix des meilleurs maquillages... Récompense amplement méritée !)

 

 

III. Mauvais points

- On n’échappe pas à l’effet de mode du « Cette histoire est inspiré de faits réels » en début de métrage...

- Pour appuyer le calvaire de l’héroïne et assumer complètement la lenteur et l’imperturbabilité du temps qui passe, les réalisateurs ont pris le parti (intéressant, je trouve) de faire un décompte des jours tout au long du film (Day 1, Day 5, Day 41...). Ce procédé pourra cependant paraître lourd pour certaines personnes. Comme bien des choses dans ce « Broken », certains points sont à double tranchant...

- Le jeu des acteurs est très particulier. On est loin des standards d’Hollywood, et on pourra parfois noter un léger surjeu (surtout dans les personnages secondaires). Personnellement j’ai vraiment accroché à ce que proposent les deux interprètes principaux, leur jeu peu expérimenté inculquant une certaine forme de naturel à leurs personnages ; mais cela ne sera sûrement pas du goût de tout le monde. Le personnage du bourreau est lui aussi à double tranchant : peu bavard, la plupart du temps extrêmement calme, on est loin du charisme d’autres méchants de films d’horreur tels que Michael Myers ou Jack Torrance. Si j’ai aimé cette modération dans le tempérament de l’antagoniste, certains spectateurs pourront juger que cela affaiblit son personnage déjà très mystérieux (on ne saura rien de lui ni de ses motivations, le propos du film ne se situant définitivement pas là).

- Quelques curiosités de montage qui peuvent rebuter (un plan noir au milieu d’une scène, sans doute pour faire l’ellipse d’un passage n’ayant pas pu être tourné ; opposition entre images très nerveuses et musique totalement placide...).

- Le vrai mauvais point du film pour moi : l’affiche ! Elle ne sert absolument pas le film, ni dans le propos ni dans l’ambiance, et ne traduit en rien la portée du titre (la « cassure » progressive du personnage principal, aussi bien corporelle qu’émotionnelle).

 

 

IV. Conclusion

Vous l’aurez compris : si j’ai adoré ce « Broken » et si je le recommande, c’est pour son caractèreatypique dû à la personnalité de la réalisation et au niveau que cette équipe très réduite a réussi à atteindre. La fin du film me laisse à chaque fois sur les rotules, clôturant cette œuvre froide de manière bouleversante.
Ainsi, de par ses conditions de création et son approche tout sauf conventionnelle, chaque paramètre de ce film peut être aussi bien haï qu’adulé — et au final, si l’interdiction aux moins de 18 ans acquise par le film en Angleterre me paraît presque justifiée (au vu du gore brutal et sérieux, de la violence psychologique des thèmes abordés, et de la froideur de l’ensemble), je conçois que certains spectateurs puissent s’endormir... Avec « Broken » tout est quitte ou double ; on peut resté traumatisé ou s’ennuyer tout le long.

Pour résumer, si je n’avais qu’un argument à donner pour faire voir ce film : il a été fait exclusivement par amour du cinéma par une équipe qui a donné plus que de raison pour y parvenir ; ne serait-ce que pour s’en faire un avis, il mérite le détour.

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