LE LOUP DE WALL STREET
écrit par Thierry De Pinsun
Amérique, je te hais. Je n'ai jamais aimé ton système véreux, qui prône l'égoïsme au-delà de toute chose, qui me permet de ne pas me soucier du malheur de l'un tant qu'il m'a permis de m'enrichir. Je l'ai toujours dit, plus ou moins montré, mais tu n'as jamais réellement compris cela. Alors je vais t'attaquer là où ça fait mal. Je m'appelle Martin Scorsese, et voilà ce que je pense de ton milieu boursier, Amérique.
Ces quatre lignes auraient pu à elles seules être la note d'intention du film, en auraient fait hurler beaucoup et rêver certains, ceux qui justement auront fait le pari insensé de laisser maître Scorsese réaliser ce qui s'avère être une claque monumentale. On se dit que ce n'est ni plus ni moins qu'une démonstration de débauche extrême, un Las Vegas Parano puissance 30, et ce n'est pas si éloigné que ça. 3 heures de cul, de drogues, de cul, de drogues, et de gens détestables qui, s'ils nous donnent l'impressions d'être les barons d'un système qu'ils maîtrisent, ne gèrent au final absolument rien si ce n'est leur bêtise, leur sens de la communication et, au final, leur chance conséquente.
Au sommet de cette spirale infernale, Jordan Belfort, petit con de la classe moyenne qui grâce à sa tchatche et son amour de l'argent sans limites va se hisser au sommet du Royaume des Enculés, va voler aux pauvres et aux riches pour tout se mettre dans la poche et en faire profiter ses sbires, qui voient en lui le merveilleux souverain qui les a sorti de leur misère, mais qui ne valent clairement pas mieux que lui. Scorsese nous décrit donc le milieu de Wall Street et de ses "self-made men" comme ce que ce soi-disant Rêve Américain combat depuis toujours : une belle dictature, où le tyran est fabuleux au vu de ses sujets. Ce qui peut donc sembler presque alléchant par moments nous apparaît donc immédiatement répulsif, la démarche est de décrédibiliser complètement un univers dont l'on connait les déboires mais qu'il nous fallait voir de nos yeux pour avoir conscience de certaines choses. Au-delà d'une critique réfléchie et conséquente, il ne faut pas oublier que le film se veut avant tout être unecomédie ; emmenée par esprit constamment dérisoire et un rythme ravageur.
La clé de cette réussite : Leonardo di Caprio. On ne vantera plus les mérites de son duo avec Scorsese, les preuves sont faites et depuis bien longtemps, mais là où généralement, les rôles étaient taillés pour ce fabuleux acteur, ici il s'agit de surpassement. J'ai eu la chance de faire partie des rares qui ont été convaincus dès le début et qui n'ont pas "boudé" la période post-Titanic, et ai donc connu l'acteur sous toutes les formes pour pouvoir affirmer ceci : jamais, ô grand jamais, malgré toute la confiance que l'on peut lui apporter, je n'aurais cru le petit Leo capable d'un tel jeu. Faut dire que image de dandy classieux quel que soit l'ascendant de son personnage va être littéralement explosée au profit d'un camé dégueulasse, un salaud de première distinction, et il met le cœur à l'ouvrage. Vivant chacune des séquences d'hystérie comme s'il était lui-même en présence des produits ingurgités (et il y a des moments où l'on pourrait se poser clairement la question), il est avant tout accompagné d'un casting juste, et d'un Jonah Hill qui ne cesse de surprendre.
Là où on ne l'attendait pas, le réalisateur de 71 ans qui s'était enfoncé dans le film plus "académique" bien que classieux (et son grand hommage au cinéma, "Hugo Cabret", reste splendide), abat des cartes jubilatoires, et nous embarque avec lui. On prend notre pied comme jamais dans cette invitation à cracher sur Wall Street de façon aussi amusante et libérée. Ça fait du bien.