QU'EST-IL ARRIVE A BABY JANE ?
écrit par Julien Botzanowski
Nous allons quitter le vingt-et-unième siècle le temps de cette nouvelle chronique pour nous embarquer vers le début des années 60. Changement d’époque mais aussi de genre puisque je vais maintenant parler d’un des plus fameux thrillers Hollywoodiens de l’époque : « What ever happened to Baby Jane ».
I. L’histoire
En 1917, Jane Hudson surnommée « Baby Jane » est une vedette précoce de music-hall et icône de tous les enfants de son âge. Son tempérament colérique et capricieux contraste avec celui de sa sœur, Blanche, qui connaîtra elle aussi, plus tard dans les années 30, un succès sans précédent en tant qu’actrice de cinéma. Jane, devenue alcoolique et jalouse du succès de sa sœur, tentera d’écraser Blanche avec une voiture, ce qui laissera cette dernière clouée à vie dans un fauteuil roulant.
Trente ans plus tard, alors âgées de presque soixante ans, les deux sœurs vivent recluses dans un manoir de Los Angeles, Blanche étant devenue dépendante de sa sœur à cause de son handicap. Jane, ne rêvant que de sa gloire passée, sombre de plus en plus dans la folie et en viendra à maltraiter et séquestrer sa sœur.
II. Les coulisses du film
« Qu’est-il arrivé à Baby Jane » est réalisé en 1962 par Robert Aldrich, qui avait réalisé dans le passé des films noirs dont certains, annonçant la vague western des années 60, mettaient en scène des personnages obscurs et violents ; il réalisera par la suite « Les douze salopards » en 1967 (qui recevra un Oscar l’année suivante), œuvre antimilitariste importante dans le genre du film de guerre Américain.
L’affrontement étant, on peut ainsi le voir, un thème privilégié du réalisateur, Aldrich fit appel dans son « Baby Jane » à deux actrices proches des deux personnages principaux — Bette Davis incarnant Jane Hudson, et Joan Crawford dans le rôle de Blanche Hudson : deux stars Hollywoodiennes venant du théâtre et ayant connu le succès au cinéma à partir des années 30, et qui avaient la réputation de ne pas pouvoir se supporter dans la vraie vie. Fondée ou non, cette rumeur servit le film à sa sortie, proposant ainsi l'opposition entre les deux actrices rivales et aux caractères bien trempés.
Véritable triomphe au box-office, le film sera maintes fois nominé pour des prix (Academy Awards, Golden Globes, BAFTA Awards...) et en remportera deux, signant définitivement son statut d’œuvre culte.
III. La gestion du suspense
Si la censure actuelle du film correspond à une modeste interdiction aux moins de 12 ans, le film fut carrément interdit aux mineurs dans certains pays lors de sa sortie, signe de son fort impact pour l’époque. Si la violence graphique est quasi-inexistante et que la violence physique reste très soft (surtout pour nos yeux de spectateurs du XIXème siècle), tout le métrage baigne dans une tension et une violence psychologique continue ; un climat lourd plane tout au long du film, intensifiant la confrontation des deux sœurs.
Cette atmosphère pesante, Aldrich l’assure dans un premier temps avec le choix de l’image en noir et blanc : dans les scènes de suspense, le travail sur la lumière, souligné par l’absence de couleurs, viendra conférer aux décors (l’huis clos qu’est le manoir) des dimensions inquiétantes, des ombres et des découpes particulières. Le montage aidera également, comme par exemple lors des scènes à la fenêtre ou dans l’escalier, où la tension demeure encore intacte aujourd’hui.
Au niveau du son, certains effets ont vieilli (cris exagérés, musique magistrale) mais donnent aussi son charme au film : ancrez-vous dans le contexte années 60 et vous frissonnerez plus d’une fois.
Mais au final, si les paramètres techniques et artistiques accompagnent le suspense à merveille, c’est à l’écriture et à l’interprétation des personnages que l’on doit surtout l’excellence de la plupart des scènes. Joan Crawford incarne à merveille cette ex-actrice douce et relativiste à la merci de sa sœur ; le spectateur s’attache tout de suite à ce personnage vertueux (le choix du prénom n’est pas anodin) pour qui on tremblera et pour lequel on compatira jusqu’au bout. Mais là où le film surprend, c’est dans le traitement de son « méchant » : Jane Hudson, sorcière alcoolique et psychopathe, s’avèrera à double facette : de cruel, aigri, violent et terrifiant, le personnage magnifiquement joué par Bette Davis devient presque attendrissant (et pathétique) lorsqu’il revit sa gloire d’antan, chantant son plus grand succès de music-hall sur la même musique et les mêmes pas de danse qu’à l’époque de sa célébrité d’enfant.
Les seconds rôles sont tous attachants et hauts en couleurs, parfois même drôles, assurant eux aussi une identification. Jamais gratuits, ces seconds personnages au nombre réduit deviendront même essentiels sur le plan des enjeux dramatiques : la femme de chambre vaillante sera l’adjuvante directe de Blanche, faisant ainsi obstacle à la tyrannie de Jane, tandis que le personnage du pianiste représentera pour Jane le délicieux espoir de sa résurrection dans un monde qui l’a complètement oubliée.
Ainsi portée par des procédés filmiques et une écriture très recherchée des personnages, la tension accumulée crescendo tout au long du film aboutira à une sublime scène finale où la folie prend un autre cours. Le dénouement est hallucinant pour la prestation des actrices comme pour le scénario — lequel, déjà assez irrévérencieux par rapport aux standards d’Hollywood, achève de démonter les codes en proposant une résolution surprenante et un plan de fin ambigu.
IV. Conclusion
En conclusion, « Qu’est-il arrivé à Baby Jane » est un thriller subtil et maîtrisé où la photographie, l’écriture et l’interprétation se mettent au service d’un suspense qui n’a rien à envier à un Hitchcock. Tantôt effrayant tantôt émouvant, le long-métrage de Robert Aldrich traite ainsi de thèmes forts tels que la renommée, l’amitié, la temporalité et le besoin d’amour, avec tant de justesse que, malgré sa longue durée (presque deux heures et quart), on ne voit pas le temps passer. Un film juste indispensable pour tout cinéphile qui se respecte !