TRIANGLE
écrit par Julien Botzanowski
Bonjour ou bonsoir à tous, et soyez les bienvenus sur cette nouvelle chronique ! Aujourd’hui, les métrageux regardent : « Triangle », un huis clos en mer pas comme les autres. Attachez vos cerveaux et vos petits cœurs de spectateurs, on plonge dans un chef-d’œuvre du genre.
I. Présentation générale
Le réalisateur de « Triangle » nous vient d’Australie : il s’agit de Christopher Smith, qui avait déjà fait preuve de son talent et de son amour pour le huis clos, avec le film d’horreur « Creep » sorti en 2005 où l’on suivait les mésaventures d’une jeune femme se retrouvant enfermée la nuit dans le métro avec... quelque chose. Le film, classique dans son déroulement mais plutôt terrifiant, faisait déjà démonstration d’un savoir-faire certain.
Avec « Triangle » en 2009, Smith renouvelle l’exploit et livre une vraie petite bombe. Sauf que là, ce n’est pas la tension que le réalisateur privilégie ; bien que le suspense soit au rendez-vous, l’horreur viscérale de « Creep » laisse ici place à un déchaînement scénaristique comme on en a rarement vu au cinéma.
Oui : « Triangle » est, pour le résumer si cela est possible, un film fait exprès pour nous retourner le cerveau. Rien n’est laissé au hasard et les évènements s’enchaînent d’une telle façon que le pauvre spectateur n’a qu’une envie : regarder le ciel en criant ‘pourquoiii ?!’. Mais alors, de quoi parle ce fameux « Triangle » ?
II. Le scénario
Bien qu’expliquer le scénario soit tentant, cette chronique serait absolument scandaleuse voire criminelle si je vous spoilais la véritable histoire de « Triangle ». Nous allons nous en tenir au simple pitch officiel, celui que le spectateur est censé connaître lorsqu’il se lance dans ce métrage.
Jess, jeune maman d’un petit garçon autiste, s’embarque à bord d’un voilier (le Triangle) avec cinq amis pour une paisible journée en mer. Manque de bol, alors que rien ne pouvait le présager, une tempête fulgurante s’abat sur eux et les laisse impuissants en plein océan. C’est alors qu’apparaît un énorme navire des années 30, l’Aeolus, sur lequel ils s’embarquent. Mais alors qu’ils se croient sauvés, ils réalisent que l’équipage a disparu. Jess quant à elle a un étrange pressentiment. Quelque chose cloche définitivement sur ce bateau.
Là où le film est virtuose, c’est qu’il laisse croire au début à une transparence totale. Après un générique de début à la fois mélancolique, intrigant et terriblement bien foutu, le premier quart d’heure de « Triangle » place le spectateur dans une situation de confort absolu : on croit tout savoir, on devine exactement ce qui va se passer ; nous sommes dans un slasher tout ce qu’il y a de plus banal, et les personnages vont réagir de façon débile (se disputer, se séparer, etc) en attendant de se faire décimer les uns après les autres par un tueur, si jamais il venait à y en avoir un.
Et puis quelques scènes passent, et on devient tout simplement abasourdi : « Triangle » n’a rien de ce que l’on imaginait ! Pire : on n’a désormais aucune idée de ce qui pourrait bien se produire...
De surprise en surprise, les images marquantes de par leur audace (technique, logique ou scénaristique) nous assaillent, attisant à la fois notre excitation et notre frustration. Et quand bien même, à la moitié du film, on commence à comprendre la structure de ce scénario diabolique, il faudra attendre la dernière minute du film pour comprendre à quoi rime tout cela — les raisons, le sens de cette énorme mascarade.
III. Les personnages de « Triangle »
Melissa George, belle actrice Australienne que l’on avait déjà vue par exemple dans le sympathique remake d’ « Amityville » en 2005, incarne Jess, l’héroïne du film qui nous préoccupe aujourd’hui. Totalement habitée par son rôle, l’actrice livre une prestation étonnante, tour à tour victime éplorée et super warrior, sans jamais être caricaturale une seule seconde. Crédible de bout en bout et extrêmement touchante, elle participe au même titre que le scénario à la réussite du métrage.
Le personnage de Jess est entouré de son ami Greg (le matelot à qui appartient le Triangle) et de ses invités : son coéquipier Victor, un jeune couple Sally et Downey, et Heather, une amie de Sally. Bien que Jess soit le centre du film, chaque personne est intéressant, justement incarné et jamais gratuit : chacun d’eux sert le récit. Ils sont tous très facilement mémorisables du fait de leurs personnalités bien affirmées — la plupart d’entre eux ayant d’ailleurs une caractéristique ambiguë ou décalée, assurant le charisme et l’identification. Mieux encore : tous, de par leur jeu, leur légèreté ou leur simplicité, contribuent à faire contrepoids au personnage de Jess (plus torturé), créant ainsi pour « Triangle » une galerie équilibrée de personnages complémentaires, attachants et naturels sans être parfaits — humains, en somme.
IV. Aspects techniques
Si j’ai beaucoup parlé de l’histoire, des personnages et de la réalisation, il ne faut pas négliger le rendu artistique du film. Et là encore c’est du lourd, parce que l’équipe technique signe ici un travail très classe.
Je commencerai par le montage, qui m’a profondément marqué. Bien sûr l’agencement des évènements tient avant tout du scénario, mais certaines propositions à l’intérieur-même des scènes rendent les choses encore plus palpitantes — le tout restant cohérent avec l’histoire. On pourra noter ainsi des effets de montage assez expérimentaux, mais diaboliquement justifiés.
Le son et la musique sont également parfaits, sobres, adéquats, tantôt lancinants et mélancoliques (la simili-berceuse de la scène d’intro, faisant par ailleurs un peu penser à « Rosermary’s baby » !) et tantôt rythmés et grandiloquents (les scènes de suspense, les scènes d’action).
L’image quant à elle déploie un certain éventail de propositions. Les couloirs du bateau (superbe travail de décor au passage) sont assez sombres et intimistes, bien que certains mouvements de caméra évoquent inévitablement « Shining » ; les cadres et les focales varient avec harmonie ; la photographie s’amuse, jouant tantôt sur les couleurs (les scènes dans les cales du bateau) tantôt sur la surexposition (les scènes d’extérieur) ; les effets spéciaux sont discrets, alliant numériques et trucages réels avec une certaine homogénéité. Le format cinémascope rend le tout plus élégant encore, permettant certaines compositions de cadre intéressantes. Le thème du triangle est bien sûr omniprésent à l’image tout au long du métrage.
V. Conclusion
On a ainsi affaire à une œuvre complexe, très travaillée et incroyablement riche, si bien qu’on en vient à se demander comme le réalisateur-scénariste, les assistants et la production ont réussi à travailler autour de cette histoire sans finir en asile psychiatrique !
Dernière précision pour les curieux qui voudraient zieuter le film : la bande-annonce est à fuir ! elle en révèle beaucoup trop sur le film !! Ne cherchez rien à voir ni à savoir : l’expérience du film n’en sera que plus intense... Ruez-vous sur le DVD, vous ne le regretterez pas (et de plus : making-of très instructif à la clef).
En conclusion, c’est un sans faute pour ce « Triangle » : entre la réalisation, les acteurs, le travail technique et artistique, et le scénario de fou, on peut dire que le film de Christopher Smith n’a pas volé son prix à Gérardmer (et en aurait bien mérité davantage). Le génie du film est tel qu’une fois la chose visionnée et comprise, il est tout à fait possible de lancer un second visionnage (voire un troisième, un quatrième...) afin de repérer au fur et à mesure de nouvelles choses sans se lasser, découvrant à chaque fois un peu plus le sens de certains passages (le générique de début par exemple).
Une œuvre fascinante, à voir et à revoir.